Présent dans le secret

Droite et esseulée, l’église n’a réuni personne sur sa place et autour du calvaire aujourd’hui, dimanche des Rameaux. Silence poignant. Les rameaux n’ont pas été bénis, les bouquets de buis ne sont pas sortis des jardins aux mains des fidèles endimanchés. Nous n’avons pas reçu sur nos têtes ou nos épaules les gouttes d’eau bénite, des gouttelettes bénéfiques pourtant en ce temps où nous les fuyons, nous n’avons pas chanté d’un même choeur. Mais nous avons prié dans le silence de nos coeurs.

Etrange écho à notre actualité dans ce passage de l’Evangile selon Saint Matthieu ( Mt 6, 5-6) que j’aime beaucoup :

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

La porte de l’église est drapée d’un voile pourpre, nous entrons dans la semaine sainte, nous restons prudemment confinés et prions dans la solitude recueillie de nos maisons.

Journal de confinement

La chambre double

Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.
L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.
Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.
Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l’impression non analysée, l’art défini, l’art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l’harmonie.
Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l’esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude.
La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais.
Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l’imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l’admiration.
À quel démon bienveillant dois-je d’être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n’a rien de commun avec cette vie suprême dont j’ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde !
Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c’est l’Éternité qui règne, une éternité de délices !
[…]

Charles Baudelaire, extrait de Petits poèmes en prose

Ce poème en prose de Baudelaire commence bien, avec les sensations qui lui sont chères, les couleurs, les odeurs et les sons ou plutôt le silence, la beauté, la volupté, mais ensuite, hélas, les rêves laissent place aux cauchemars, au laudanum, à l’insupportable vie. Profitons au mieux de nos heures silencieuses dans la chambre !

Prenons soin de nous

« Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. »
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Paul Claudel, extrait du Soulier de satin.

J’ai entendu ce passage de Claudel sur France Culture. « Toussez dans votre coude » dirait on aujourd’hui. On essaie de comprendre, mais on ne comprend rien de ce qui arrive. On risque de trouver long le confinement, le trouvera-t-on plus intéressant, et finalement drôle ?

Le sévère, le lent, le mortel aujourd’hui … créatif aussi, je couds pour une association humanitaire de petits sacs, des grands, des moyens, tous inventés, et puis des tabliers, des bobs, des plaids, et quand auront lieu nos ventes de charité ?

Désir

Ce camélia s’appelle Désir.

Ou plutôt Desire, le nom de sa variété est en anglais. C’était mon grand désir de le planter dans le jardin, ce que nous fîmes en février dernier.

Admirable régularité des pétales, d’un blanc pur au centre, d’un rose tendre sur le pourtour. Un romantisme envoûtant. Un vrai coup de coeur dans le jardin.

En février il pleuvait tous les jours et nous ne pouvions guère sortir de la maison. Depuis le premier jour du confinement le temps est beau, sec, net, insolent, narquois, et nous ne pouvons plus nous promener au grand air. Mais les fleurs suscitent en nous un perpétuel désir, de beauté, de bonté, de calme et de douceur.

Le confinement

A chacun son mode de confinement !

Ces demoiselles des sixties et seventies m’offrent un confinement bien distrayant, mais je ne peux plus entrer dans leur chambre. J’ai le virus … celui de la mode de ces années dites glorieuses, que je reconstitue, restaure, rassemble en catalogue, pour retrouver ce vent furieusement orange, ces formes délicieusement psychédéliques et cette insouciance débridée.

Une fashion week qui a déjà un demi-siècle !

La chute

C’était le dimanche 15 mars, ma dernière promenade sur la plage. Grande marée et petite pluie. Douceur et grisaille, quelques silhouettes au loin à la Giacommetti.

Le lendemain, le gris céda la place au noir. Second lundi noir du mois. Effondrement des marchés mondiaux, chute record et le jour suivant, le mardi, pour ma plus grande déception, le rivage fut interdit.

Le roman le plus lu en cet hiver 2020 est La Peste de Camus, on pourrait y ajouter La Chute.

Espace serein

La plage était déserte absolument. Pas une âme à l’horizon, pas une trace de pas. Ni devant, ni derrière moi. Seule sur le sable avec mon chien et bonheur soudain, bondissant. Impression d’infini, de liberté, envie de chanter à tue-tête sans le risque de déranger un passant.

Prémonition d’un futur confinement ? Ces photos datent de février. Ma solitude était une joie, dans ce paysage si calme, une mer opale, un ciel ouaté, un sable d’hiver brodé de rubans d’algues brunes. Le virus était loin en Extrême-Orient, et je marchais calmement sur la plage. Comme elle me manque !

25 mars

Mercredi dernier, ce fut un 25 mars étrange que celui de l’année 2020. La fête de l’Annonciation.

L’église était fermée depuis une semaine et ce matin-là le prêtre ouvrit grand son portail. Il était permis d’aller prier, quoique la case « prière » ne soit pas présente sur l’attestation de sortie.

A 19h30 toutes les cloches des églises ont sonné pendant dix minutes et nous avons posé à la fenêtre des bougies allumées. Nous avons lu le prmier chapitre de l’Evangile de Luc relatant l’Annonciation du Seigneur à la Vierge Marie. Nous étions confinés chez nous mais tous unis par le son, la lumière et la Parole.

Le temps passe

Depuis février, le temps s’est accéléré, puis arrêté, puis il est reparti, dans l’autre sens.

Ne le trouvant plus, ce temps insaisissable, j’avais cessé de bloguer, vacances avec les petits-enfants, travaux divers …

… et puis tout d’un coup, le temps s’est stoppé, le temps du pas le temps a laissé la place au temps élastique, sans contours.

A la vie frénétique, minutée, bruyante, s’est opposé le silence continu, immense, sans espace privilégié.

Le confinement est un temps de montres molles, que le changement d’heure cette nuit ne perturbera point.

Pendant que le drame se noue tout autour de nous, nous apprenons à vivre à reculons, à pas lents, à contre temps.

La lessive étendue au petit matin ne claque plus au grand air marin.

Du calme

Les enfants du caté sont très dissipés en ce moment, petites canailles bruyantes, diablotins à ressorts, polissons excités comme des puces … on crie au calme comme on prêche dans le désert.

Calme, le mot vient du grec kauma, chaleur brûlante.

Calme : la canicule amène à l’absence de vent.

Calme, nom masculin : le terme vient de la marine, il désigne l’absence de vent. Le calme plat est l’absence totale de vent, plus rien ne bouge.

Alors je tombe en plein paradoxe ! J’appelle au calme pendant le catéchisme et je demande aussi que l’Esprit Saint souffle sur nous tous comme un vent bénéfique et inspirant.