« Simon vit basculer l’axe du monde et se laissa glisser insensiblement dans le compartiment enchanté de cet univers à double-fond.«
Simon est étudiant à La Sorbonne, très studieux et toujours pressé ; il n’a pas une minute à perdre dans l’oisiveté ou la rêverie. Et puis un jour la fatigue s’installe, son rythme s’alentit jusqu’au verdict de la maladie, la tuberculose. Il part au sanatorium du Crêt d’Armenaz, et là, confiné dans cet « univers à double fond », il remet toutes ses convictions en cause.
« Il imaginait peu à peu, sous les évènements incompréhensibles qui s’étaient déclenchés dans sa vie et qui l’avaient amené de la Sorbonne au Crêt d’Armenaz, du comble de la civilisation au comble de la simplicité, de l’excès de richesses intellectuelles à l’excès de dénuement, et de l’étude des philosophes grecs au ravaudage de bas usés – il imaginait un enchaînement pareil à celui qu’il admirait dans le passage d’un fil à un autre ou d’une maille à une autre maille, et il se disait que seule une incohérence apparente dérobait cet enchaînement à ses yeux. Une sorte de plaisir amer lui venait alors, quand il s’apercevait que ses doigts, en travaillant à ces besognes si peu faites pour eux, tissaient tout doucement le linceul sous lequel était en train de mourir son orgueil. »
Paul Gadenne (1907-1956), extrait de Siloé.
Comme dans La montagne magique de Thomas Mann, un jeune homme malade observe les occupants du sanatorium, un lieu qui s’avère être, comme le collège et la caserne, le dernier refuge de l’enfance. Il se transforme et se surprend à rêver. Domestiqué par le thermomètre et les infirmières, il fait l’apprentissage de l’humilité. On pense, en relisant ce roman écrit dans une langue éblouissante de grâce et de pureté, à la crise sanitaire actuelle, à ses drames et à son confinement, qui font basculer l’humanité dans l’inconnu et ensevelissent une bonne part de son orgueil. Souhaitons que la guérison soit également intellectuelle.