Il a une propension à disparaître. Il fuit constamment, le bain se fait à la recherche du savon perdu. Il est simple, bien modeste sur sa soucoupe, domestique, et pourtant il ne rate pas une occasion de se faire mousser. C’est vrai que c’est une huile dans son genre. Il dégraisse, nettoie, fait place nette autour de lui. C’est un galet qui roule et amasse mousse. On s’en frotte les mains de plaisir et il jubile, bave, gigote. Il aime l’eau, sans elle il finit par se fendiller de désespoir, sans elle il ne peut agir, il lui doit sa raison d’être. J’imite là Francis Ponge qui appelait le savon « la pierre magique », Francis Donge allais-je écrire, je me demande ce qu’il ajouterait à son ouvrage s’il était encore parmi nous en pleine pandémie.
Avec le savon, Francis Ponge avait imaginé une saynète ou un « momon » (de même famille que momerie), mot qu’il définit ainsi : « un momon est une mascarade, espèce de danse exécutée par des masques, ensuite un défi porté par des masques. »
Le savon est le capitaine du confinement, sans lui point de salut ! Il fait partie des gestes barrières, il est la barrière sur nos mains comme le masque sur nos museaux. L’épidémie accélère sa disparition, de plus en plus diminué il rend l’âme pour notre bien, se sacrifie pour nous sauver. Grâce à son parfum, le geste barrière s’ennuage finement de fleurs, agrumes, verveine, vétiver, santal ou Cologne … Il n’est plus que bulles, que vanité, fragilité, que moment éphémère qui éclate au moindre toucher. Cette pandémie nous rappelle l’homo bulla, l’homme mortel, et le savon, comme on le voit dans les vanitas de la peinture hollandaise, est un petit memento mori qui nous dit : souviens-toi que, comme moi, tu es mortel.